A l’occasion de la Clermont Innovation Week, la Fondation INSTITUT ANALGESIA organisait une rencontre autour de la douleur et de sa relation particulière avec le sport avec l’éclairage de 4 intervenants passionnants
Alain Eschalier, Président, le rappelait en introduction : la Fondation ANALGESIA se concentre sur le traitement de la douleur chronique pour qu’elle n’altère plus la qualité de vie des patients. Pour ce faire, elle agit sur trois niveaux :
Si trois des quatre intervenants invités à contribuer à cette conférence sont plutôt issus du monde du sport de haut niveau, Violette Duval, qui a quand même pratiqué le basket à haut niveau, apportait l’éclairage des patients douloureux chroniques. Elle souffre de fibromyalgie, un syndrome caractérisé par des douleurs diffuses dans tout le corps et encore largement méconnu quant à ses causes. Elle raconte les années de souffrance sans diagnostic, puis quand il arrive, c’est assorti d’une injonction mal expliquée : il faut bouger. Or, la douleur chronique a souvent pour effet de désocialiser les patients. « Quand on souffre, on sort moins, on s’isole, on est concentré sur sa douleur. »
Et pourtant, « le meilleur traitement c’est le mouvement ».
Violette Duval le dit, elle ne voulait pas entrer dans le cercle vicieux des antalgiques et anti inflammatoires. Il a donc fallu bouger et apprivoiser la douleur. « Il faut accepter qu’il faut du temps, beaucoup de temps, pour trouver son équilibre et réduire sa souffrance ».
La pratique du sport de haut niveau induit un seuil de résistance assez élevé mais la douleur fibromyalgique est ressentie ‘comme la douleur de trop’. On apprend à connaître son corps, au fur et à mesure, mais au début, c’est très complexe »
Pour Thomas Lorblanchet, c’est effectivement l’une des clés. Pour apprendre à gérer et contenir la douleur, c’est l’entrainement, la répétition qui permettent de repousser le seuil d’apparition de la douleur et d’acquérir cette résistance supérieure. Cette notion de temps est l’une des difficultés principales auxquelles sont confrontés les sportifs. Elle est pourtant le paramètre essentiel pour durer.
Pour Violette, c’est le voyage et la photo qui seront les déclencheurs d’une nouvelle pratique : la marche. Elle fera 6000 kms à pieds, du Mont St Michel à Marseille. La pratique, surtout en pleine nature, devient pour elle une forme de méditation, un état qui aide à dépasser cette douleur’
Cette incitation au mouvement, c’est l’objet de l’Observatoire National de l’Activité Physique et de la Sédentarité (ONAPS), créée en 2015 et présidé par Martine Duclos, professeur de médecine et responsable du service de médecine du sport au CHU de Clermont-Ferrand. Lucille Bruchet, directrice opérationnelle, en rappelait la raison d’être : promouvoir l’activité physique et lutter contre les comportements sédentaires dans tous les milieux. Ce, en recensant les initiatives territoriales, en réalisant des études pour recueillir des données là où il y a des manques (population en situation de handicap, femmes, étudiants, ...), en accompagnant la mise en œuvre de nouvelles actions en lien avec la stratégie nationale santé et enfin, en sensibilisant vers les professionnels et le grand public.
Selon Descartes, la douleur n’est ni plus ni moins qu’un système d’alarme dont la seule fonction est de signaler une lésion corporelle et qui va déclencher une réponse réflexe.
Définition complétée quelques quatre siècles plus tard, en 1979, pour introduire des dimensions plus complexes, « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire ou potentielle. »
Cette définition introduit la notion de variabilité dans la perception et donc sa subjectivité. C’était tout le propos de Serge Simon dans son intervention « Douleur, Rugby et sports de combat, le mal pour le bien ».
En effet, considérer un peu hâtivement que nous sommes programmés pour fuir la douleur afin de préserver le vivant du danger, reviendrait à oublier la capacité, propre à l’espèce humaine, de la détourner à d’autres fins. Pour accompagner la compréhension, Serge Simon, parti des premiers signes d’intelligence, via le traitement de l’information chez l’être unicellulaire, arrive jusqu’à l’apparition de la conscience chez l’espèce humaine. Le cerveau fonctionne en traitant les informations collectées à travers nos sens (l’oreille, la rétine, …) pour construire une représentation qui est une interprétation du monde. Les mécanismes cérébraux sont absolument identiques entre ce que l’on qualifierait de rêve et de réalité, ou même d’hallucinations. Et pour la douleur c’est pareil : c’est un signal électrique. « Elle n’existe pas mais elle s’impose à nous, à l’intérieur de nous-même ». Dans un cerveau animal, c’est un signal d’alerte. Pour l’espèce humaine, elle peut être aussi un obstacle ou un challenge, en fonction de capacités personnelles innées, d’éléments de contexte …
D’abord, le risque ‘objectif’, celui qui est décrit par les statistiques : le % d’accidents, de chutes, de fractures, de morts… Vient ensuite le risque intégré. Là, il s’agit d’une forme de définition de la normalité, relative à l’univers de référence. Pour l’illustrer, à la question des blessures subies durant sa pratique, Serge Simon n’évoque qu’une rupture du talon d’Achille. Puis, fait l’inventaire – long- des blessures (côtes, nez, membres, …) « intégrées » à la pratique. C’est la routine, celle qui correspond à la culture du sport concerné. Ces risques-là deviennent invisibles aux pratiquants. Troisième catégorie, le risque pondéré, qui est le rapport des deux catégories précédentes et s’apprécie au regard du contexte socio professionnel et de sa position personnelle. Et enfin, le risque ressenti, qui est le résultat de la pondération assortie des éléments liés à la subjectivité individuelle, notamment du ressenti de la douleur (capacité personnelle, transcendance, grille culturelle, …)
La douleur est un signal mais, dans la pratique sportive, elle revêt une forte valeur symbolique. Elle se lit au regard des capacités personnelles, exacerbée par la volonté de maitrise, de transcendance, de valorisation de l’égo, d’intégration à un collectif, …
Pour Mathieu Abbot, la culture de la souffrance est parfois inhérente aux sports, à l’exemple du « No pain, no gain » de la musculation par exemple ou de la glorification de joueurs capables de terminer un match avec un membre cassé ou un cycliste avec une commotion cérébrale. Se faire mal pour dépasser ses limites, revendiquer la souffrance, et afficher sa capacité à la dépasser, c’est l’état d’esprit sportif «ne pas s’arrêter, surmonter ».
Pour Thomas Lorblanchet, qui court sur des distances de 80 à 160kms, en montagne, sur des durées longues, le trail est une lutte permanente contre cette douleur qui dure et s’accumule. C’est cette capacité à supporter qui fait qu’on se transcende ou qu’on arrête.
D’un point de vue médical, c’est toute la subtilité. Serge Simon, médecin et ancien rugbyman l’avoue, « avec l’âge, je comprends que c’est le rôle de l’institution que de définir un cadre, même parfois contre l’envie des joueurs. Il faut jouer de la complexité entre la passion, l’exercice intense et la gestion du risque individuelle. »
Si elle peut être un moteur de dépassement de soi, la douleur peut aussi être inutile, toxique, dégradante, invalidante… Et dans ces cas, pour Serge Simon, elle doit être prioritaire pour le corps médical. Le Dr Matthieu Abbot rappelle que la douleur est aussi évaluée en fonction du temps : aigue ou chronique (durée supérieure à 3 mois) et qui affecte la vie du patient. 30 ans de prise en charge de la douleur par la médecine ont permis d’apprendre à moduler l’influx électrique ‘douleur’ soit par des substances exogènes, soit par des endorphines. Il convient de ne pas oublier que les substances exogènes présentent quand même des risques d’addiction. Pour Thomas Lorblanchet, l’anti inflammatoire fait partie du paquetage du trailer, surtout amateur, moins surveillé … Même chose avec le Tramadol, il n’est pas interdit mais ce qui limite la performance, c’est justement la gestion de la douleur. « C’est du dopage, il ne faut pas avoir peur des mots. »
Citant Arthur Ashe « Une des clés de la réussite c’est la confiance en soi et une des clés de la confiance, c’est la préparation », Thomas Lorblanchet rappelle que le moyen de juguler la douleur réside dans l’entraînement et la préparation.
Matthieu Abbot y adjoint quelques recommandations :
Et en tant que médecin, ne pas se laisser embarquer par l’envie du sportif mais évaluer correctement le sur-risque.
C’est la conclusion consensuelle de tous les intervenants : pour appréhender et gérer sa douleur, il faut avant tout être acteur, chercher son équilibre et ne pas subir. Le corps est fait pour fonctionner, le remettre en mouvement est une véritable solution thérapeutique, plus il fonctionne, plus il se répare.